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Vampires romantiques, cruel vendredi

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DANS LA BULLE AVEC BOZON

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soir

« Cette aventure n’est que l’une des scènes de la comédie qui se joue depuis peu à Trokenburg aux dépens des étrangers ». (Michael Kohlhaas)

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matin

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Comment adapter un livre ? (2)

Il faudrait poser la question à Anne Benhaïem, qui avait écrit, il y a une quinzaine d’années, une adaptation de Michael Kohlhaasle texte le plus violent de Kleist avec Penthésilée.

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après-midi

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La difficulté principale d’une telle adaptation, c’est de trouver un équivalent à la sècheresse juridique moyenâgeuse du style, « ferme et aigu, comme fondu dans l’acier » (Wilhelm Grimm).

La prose de Kleist est factuelle, hyper précise sur les tractations liées à l’état physique des chevaux noirs (crottin, pelage, poids…). Et surtout elle est comme lestée du poids archaïque d’un vieux texte de loi qu’on trouverait par hasard sous les sabots d’un canasson.

Il y a la solution bressonienne (ellipses abruptes, silences et concaténations, refus des batailles collectives au profit de fragments métalliques…). Le risque aujourd'hui : induire une solennité abstraite qui est le contraire de la sécheresse juridique de Kleist.

Pourquoi ce risque aujourd’hui ? Il n’y a aucune solennité abstraite dans Lancelot du Lac. C’est même en découvrant le film de Bresson que j’ai abandonné, il y a longtemps, le projet d’adapter Le Duel de Kleist. Si les films de Bresson gardent une virginité soustractive intacte, comme le dos nu de la femme qui prend son bain dans Lancelot, c’est grâce à un moment historique précis, le moment où Bresson a inventé son système dans un élan solitaire et inouï.

L’époque est autre, la radicalité un acquis. Il faut inventer autre chose, seul ou pas.

De retour pour la seconde fois à Paris, j’attends impatiemment la réponse cannoise de Des Pallières."

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Thierry Frémaux refait le même coup chaque année : réserver au film le plus radical de sa sélection la case du dernier vendredi, le jour où les acheteurs plient bagage. Comme s'il allait de soi qu'il n'était pas pour eux. Hou Hsiao-hsien (Three Times, 2005), Naomi Kawase (Shara, 2003), Pedro Costa (En avant Jeunesse!, 2006), Apichatpong Weerasethakul (Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, 2010) ont eu droit à ce traitement, avec, souvent, des effets désastreux sur les films : hallucinés, malades, assommés de fatigue quand ce n'est pas complètement endormis, les critiques ne sont plus, à ce stade du festival, que des spectres qui hantent les salles, rêvant les films sans plus toujours réussir à les voir.

Quand la proposition a l’heur de combler les attentes encore frustrées du président du jury, comme ce fut le cas d’Oncle Boonmee pour Tim Burton qui lui a remis une des plus belles Palme d’Or de l’histoire du festival, c’est magnifique. Mais c’est plus souvent cruel. Ca l’a été cette année pour Michael Kohlhaas d'Arnaud Des Pallières, dont il appartient au jury de l’arracher au statut de victime expiatoire du festival auquel semble vouloir le condamner la photographie de l’appréciation critique du film par la presse française que donne le tableau des étoiles du Film Français  (proche de l’encéphalogramme plat).

Cette adaptation lyrique et sèche comme la pierre du roman de Kleist (bressonienne par bien des aspects, comme l'imagine justement Serge Bozon), transposée dans les Cévennes, interprétée par des acteurs de toutes nationalités, parlant avec toutes sortes d'accents, est pourtant splendide. Au parcours de Michael Kohlhaas / Mads Mikkelsen, marchand humilié par le seigneur local, révolté magnifique prêt à tout sacrifier, aussi bien lui-même que les autres, pour l’idéal de justice qui l’habite - du moins jusqu’à ce que la rencontre d’un pasteur, interprété par Denis Lavant, puis de la princesse (formidable Roxane Duran, vue dans Le Rubanc Blanc d'Haneke), le conduisent à renoncer à sa stratégie de vengeance guerrière en échange d'une réparation -, fait écho une mise en scène idéaliste elle aussi, où la langue, le territoire, le récit même ne sont plus que collage d'éléments disparates dont la beauté irradie en se frottant à l'altérité. Lui-même mis en crise par la forme de l’épopée chevaleresque tendance western et la présence de l’acteur star Mads Mikkelsen, lauréat l’année dernière à Cannes du prix d’interprétation pour La Chasse de Thomas Vinterberg, ce principe de mise en scène soustrait le plus souvent le film -  pas toujours toutefois - au risque de la solennité abstraite.

Entre la prononciation de ce beau danois à qui l'on demande de parler une langue, le Français, dont il ne comprend pas un traître mot, et le caractère ultra elliptique du récit, le film n’est pas aisé à suivre en cette fin de festival, et l’on se demande ce qui, de notre état ou du film lui-même le rend si rétif. Mais chaque plan vous emporte (splendeur bouleversante de la forêt des Cévennes…), chaque scène est pleine, neuve, rugueuse, folle aussi parfois (Sergi Lopez qui déboule sur son âne, un petit cochon dans chacune des besaces qui pendent de part et d’autre de sa monture, s'épanchant à la seule attention de ces animaux, en catalan, sur la grandeur de Michael Kohlhaas…). L’audace de cette mise en scène, la folle croyance qui lui préside, n’ont pas d’équivalent dans la compétition, et l’on ne peut que souhaiter que le jury y soit plus sensible que ne l’a été la presse française.

La compète a gagné en substance pendant les derniers jours. Après une semaine poussive où elle se résumait à A Touch of Sin de Jia Zhang-ke et Inside Llewyn Davis des frères Coen, l’explosif film d'apprentissage beauvoirien d'Abdellatif Kechiche, La Vie d’Adèle chapitre 1 & 2, a ouvert la voie a un beau final. Entre la noirceur tordue de The Immigrant de James Gray, éclairée par la grâce (oui oui!) de Marion Cotillard, et la beauté vénéneuse, cool et mélancolique de Only Lovers left alive de Jim Jarmush et de son épatant trio de vampires rock -- Tilda Swinton (O My God quelle classe!!), Mia Wasikowska (indomptable coquine assoiffée de sang), Tom Hiddleston (sublime poète maudit) --, on a fini heureux.

Sionnan O'Neill qui a traduit La Fille du 14 juillet, La Bataille de Solférino, Jeune et Jolie, Les Rencontres d'après minuit, Suzanne (en collaboration avec John Miller), et Simon, son sweetheart

 

En conclusion, mon palmarès rêvé :

Palme d'Or : The Immigrant de James Gray

Prix d'interprétation masculine : Michael Douglas dans Liberace de Steven Soderbergh

Prix d'interprétation féminine : Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux dans La Vie d'Adèle d’Abdellatif Kechiche

Grand Prix : A Touch of Sin de Jia Zhang-ke

Prix de la mise en scène : Michael Kohlhaas de Arnaud des Pallières

Prix spécial des vampires romantiques : Tilda Swinton, Tom Hiddleston, Mia Wasikowska, et Jim Jarmusch pour Only Lovers left alive

Prix du Jury : Inside Llewyn Davis de Joel et Ethan Coen

Prix du scénario : Jimmy P. d'Arnaud Despleschin

Prix du meilleur animal : Le (premier) chat tigré dans Inside Llewyn Davis des frères Coen

Prix Un Certain Regard : L'Inconnu du Lac d’Alain Guiraudie

Caméra d'Or : Les Rencontres d'après minuit de Yann Gonzales

Prix de la nuit cannoise : Get Lucky de Daft Punk

http://www.dailymotion.com/video/xz55of_daft-punk-get-lucky-official-audio_music?search_algo=2#.UaFCi-j9Xgo

 

 














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